La navigation coutumière en péril : défense juridique des droits de passage maritime ancestraux

Dans un contexte de tensions croissantes autour des espaces maritimes, la question des droits de passage locaux traditionnels émerge comme un sujet de préoccupation majeure. Des communautés côtières aux quatre coins du monde voient leurs accès ancestraux aux voies navigables menacés par des réglementations modernes, des projets de développement ou des revendications territoriales concurrentes. Face à cette situation, des collectifs s’organisent pour défendre juridiquement ces droits coutumiers, mobilisant des arguments issus du droit maritime international, des droits des peuples autochtones et de la protection du patrimoine culturel immatériel. Cette problématique, à l’intersection du droit et de l’anthropologie maritime, soulève des questions fondamentales sur la reconnaissance des usages traditionnels face aux impératifs contemporains de souveraineté et d’exploitation économique des espaces marins.

Fondements juridiques des revendications collectives de droits de passage maritimes

Les revendications collectives de droits de passage maritimes s’appuient sur un socle juridique complexe qui mêle différentes sources de droit. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) constitue le cadre normatif principal en matière de navigation internationale. Toutefois, elle n’aborde que partiellement la question des droits de passage traditionnels à l’échelle locale. L’article 17 de cette convention garantit le « droit de passage inoffensif » dans la mer territoriale d’un État, mais cette disposition s’applique principalement aux navires de tous les États et ne prend pas spécifiquement en compte les usages coutumiers des communautés locales.

Pour combler cette lacune, les collectifs revendicateurs mobilisent souvent le droit coutumier international, qui reconnaît que certaines pratiques constantes et acceptées comme obligatoires peuvent acquérir force de loi. Dans l’affaire des Pêcheries norvégiennes (Royaume-Uni c. Norvège, 1951), la Cour internationale de Justice a reconnu l’importance des usages historiques dans la détermination des droits maritimes. Cette jurisprudence fondamentale offre une base pour défendre des droits de passage traditionnels.

Les instruments protégeant les droits des peuples autochtones constituent un autre fondement juridique majeur. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007 reconnaît notamment dans son article 25 que « les peuples autochtones ont le droit de conserver et de renforcer leurs liens spirituels particuliers avec les terres, territoires, eaux et zones maritimes côtières ». Cette disposition peut servir de levier pour revendiquer un accès continu aux voies maritimes traditionnelles.

Le droit du patrimoine culturel offre une perspective complémentaire. La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO (2003) reconnaît l’importance des pratiques et savoirs transmis de génération en génération, y compris ceux liés à la navigation traditionnelle. Dans ce cadre, les techniques de navigation ancestrales et les routes maritimes historiques peuvent être considérées comme des éléments du patrimoine culturel à préserver.

Articulation entre droits collectifs et droits individuels

Un aspect juridique particulièrement délicat concerne l’articulation entre la dimension collective de ces revendications et les droits individuels. Contrairement aux servitudes de passage terrestre, souvent établies entre propriétaires privés, les droits de passage maritimes impliquent généralement des communautés entières face à des entités étatiques ou supranationales. Cette configuration soulève des questions spécifiques de représentation et de légitimité.

  • Qui peut légitimement revendiquer un droit de passage maritime collectif?
  • Comment définir précisément les bénéficiaires d’un tel droit?
  • Quels mécanismes juridiques permettent d’articuler l’exercice collectif de ces droits?

Les tribunaux internationaux ont progressivement développé une jurisprudence reconnaissant que certains droits, bien qu’exercés individuellement, peuvent avoir une dimension collective essentielle, particulièrement pour les communautés traditionnelles dont l’identité est intrinsèquement liée à certaines pratiques maritimes.

Études de cas emblématiques : succès et échecs des revendications collectives

L’analyse de cas concrets permet de mieux saisir les dynamiques juridiques et sociales à l’œuvre dans les revendications de droits de passage maritimes. Le cas des Torres Strait Islanders en Australie constitue un précédent significatif. En 2013, la Haute Cour d’Australie a reconnu les droits maritimes traditionnels de ces communautés insulaires dans l’affaire Akiba v. Commonwealth. Cette décision historique a établi que les droits de pêche et de navigation traditionnels n’avaient pas été éteints par la colonisation britannique ni par les législations ultérieures. Le tribunal a reconnu l’existence d’un titre autochtone maritime, distinct du titre foncier terrestre, permettant aux communautés de naviguer librement dans leurs zones maritimes ancestrales.

À l’inverse, les pêcheurs traditionnels du détroit d’Ormuz ont connu des difficultés majeures pour faire reconnaître leurs droits de passage. Pris entre les tensions géopolitiques impliquant l’Iran et les États du Golfe, ces communautés ont vu leurs routes de pêche ancestrales entravées par des restrictions de navigation imposées pour des raisons sécuritaires et militaires. Leurs recours devant les juridictions nationales n’ont pas abouti, les tribunaux privilégiant systématiquement les arguments relatifs à la sécurité nationale sur les droits coutumiers.

En Polynésie française, la question des droits de passage entre les atolls a fait l’objet d’une médiation réussie entre l’État français et les communautés locales. Un système de rahui (gestion traditionnelle de l’espace maritime) a été progressivement reconnu et intégré dans le cadre juridique moderne. Cette approche hybride, mêlant droit coutumier polynésien et droit administratif français, illustre la possibilité d’accommodements juridiques respectueux des traditions.

Dans la mer Baltique, les communautés de pêcheurs finlandais et suédois ont dû défendre leurs droits de passage traditionnels face à l’installation de parcs éoliens offshore. Après plusieurs années de contentieux, un accord-cadre a été établi en 2018, reconnaissant des corridors de navigation traditionnels qui doivent être préservés lors de la planification des infrastructures énergétiques. Cette solution démontre qu’une conciliation est possible entre développement économique et préservation des usages maritimes ancestraux.

Facteurs déterminants du succès des revendications

L’analyse comparative de ces cas révèle plusieurs facteurs clés influençant l’issue des revendications :

  • La documentation historique des pratiques de navigation
  • La cohésion sociale et l’organisation politique des communautés revendicatrices
  • L’existence de mécanismes juridiques nationaux reconnaissant les droits coutumiers
  • La réceptivité des tribunaux aux arguments basés sur le pluralisme juridique

Les cas les plus réussis sont généralement ceux où les communautés ont pu démontrer une continuité historique dans leurs pratiques de navigation et où le système juridique national présentait une certaine flexibilité permettant d’intégrer des normes coutumières.

Stratégies juridiques et mobilisation collective pour la défense des droits maritimes

Face aux défis que représente la reconnaissance des droits de passage maritimes traditionnels, les communautés concernées ont développé diverses stratégies juridiques et formes de mobilisation collective. L’approche du litige stratégique s’est révélée particulièrement efficace dans plusieurs contextes. Cette méthode consiste à sélectionner soigneusement des cas emblématiques susceptibles de créer des précédents juridiques favorables. Les communautés Haida au Canada ont ainsi mené une bataille juridique de plus de vingt ans, culminant avec l’arrêt Nation Haida c. Colombie-Britannique (2004), qui a établi l’obligation de consultation des peuples autochtones concernant l’utilisation des espaces maritimes traditionnels.

La cartographie participative constitue un outil technique et juridique précieux. En documentant précisément les routes maritimes traditionnelles, les communautés peuvent matérialiser des pratiques souvent transmises oralement. Dans le Pacifique Sud, plusieurs groupes insulaires ont créé des cartes bioculturels marines combinant savoirs traditionnels et données scientifiques. Ces documents servent ensuite de preuves dans les procédures judiciaires ou administratives. Au Vanuatu, de telles cartes ont permis d’obtenir la protection juridique de passages inter-îles menacés par des projets touristiques.

Les alliances transnationales entre communautés partageant des problématiques similaires renforcent considérablement le poids des revendications. Le Réseau des Gardiens de la Mer, regroupant des communautés côtières de l’océan Indien, a développé une expertise juridique partagée et des stratégies communes de plaidoyer. Cette mutualisation des ressources a permis à des groupes disposant individuellement de peu de moyens d’accéder à une représentation juridique de qualité devant des instances internationales.

L’utilisation du droit international des droits humains offre un cadre juridique alternatif particulièrement pertinent. Plutôt que de s’appuyer uniquement sur le droit maritime ou les droits fonciers, certaines communautés ont reformulé leurs revendications en termes de droits fondamentaux. Le droit à l’alimentation, le droit à la culture ou le droit au développement peuvent justifier la préservation d’accès maritimes traditionnels. Cette approche a été fructueuse devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, notamment pour les communautés de pêcheurs du lac Turkana.

Mobilisation médiatique et sensibilisation du public

Au-delà des stratégies strictement juridiques, la mobilisation de l’opinion publique joue un rôle déterminant. Les campagnes médiatiques mettant en lumière l’impact culturel et social de la perte des droits de navigation traditionnels peuvent exercer une pression significative sur les décideurs. Les pêcheurs artisanaux sénégalais ont ainsi réussi à médiatiser leur lutte contre les restrictions d’accès aux zones côtières imposées par des projets industriels, obtenant finalement une révision des plans d’aménagement littoral.

L’implication d’organisations non gouvernementales spécialisées dans le droit environnemental ou les droits des peuples autochtones apporte une expertise juridique précieuse et une visibilité internationale aux revendications locales. Des organisations comme Cultural Survival ou l’International Collective in Support of Fishworkers (ICSF) ont joué un rôle décisif dans plusieurs contentieux relatifs aux droits de passage maritimes.

Obstacles juridiques et résistances institutionnelles aux revendications maritimes

Malgré les avancées observées dans certains contextes, les revendications collectives de droits de passage maritimes se heurtent fréquemment à des obstacles juridiques substantiels et à des résistances institutionnelles tenaces. La doctrine de la souveraineté étatique sur les espaces maritimes constitue l’un des principaux freins. Depuis l’émergence du système westphalien, les États revendiquent un contrôle exclusif sur leurs eaux territoriales, principe renforcé par la CNUDM. Cette conception moderne de la souveraineté maritime entre souvent en contradiction avec les pratiques traditionnelles qui ignoraient largement les frontières nationales actuelles.

Les impératifs sécuritaires sont régulièrement invoqués pour limiter les droits de passage traditionnels. Dans des zones comme le détroit de Malacca ou la mer de Chine méridionale, la lutte contre la piraterie, le terrorisme ou les trafics illicites sert de justification à des restrictions drastiques de navigation qui affectent indistinctement les communautés locales. Les tribunaux tendent à accorder une large marge d’appréciation aux États dans ce domaine, rendant difficile la contestation juridique de ces mesures.

Le développement économique maritime génère de nouvelles formes d’exclusion. L’expansion de l’aquaculture industrielle, des terminaux portuaires, des zones franches maritimes ou de l’extraction offshore conduit à la privatisation de facto d’espaces marins auparavant accessibles aux communautés locales. Ces projets bénéficient généralement d’un cadre juridique favorable, avec des procédures d’expropriation ou de concession simplifiées pour les espaces maritimes comparativement aux espaces terrestres.

Sur le plan procédural, les difficultés d’accès à la justice représentent un obstacle majeur. Les communautés concernées font face à:

  • Des coûts prohibitifs de représentation juridique
  • La complexité technique du droit maritime international
  • Des délais procéduraux excessivement longs
  • L’absence de mécanismes de recours collectifs dans de nombreuses juridictions

La fragmentation juridique comme obstacle

Un défi supplémentaire réside dans la fragmentation du droit applicable aux espaces maritimes. Les droits de passage traditionnels se situent à l’intersection de multiples régimes juridiques : droit de la mer, droit de l’environnement, droit des peuples autochtones, droit commercial maritime, etc. Cette situation crée des incohérences normatives et des conflits de compétence entre institutions. Par exemple, une même zone maritime peut relever simultanément de la juridiction d’une organisation régionale de pêche, d’une autorité portuaire nationale et d’un parc marin protégé, chaque entité appliquant ses propres règles concernant la navigation.

La charge de la preuve imposée aux communautés revendicatrices constitue souvent un obstacle insurmontable. Dans la plupart des systèmes juridiques, il incombe à celles-ci de démontrer l’existence, l’ancienneté et la continuité de leurs pratiques de navigation. Or, les sociétés traditionnelles reposaient largement sur une transmission orale des savoirs et pratiques, rendant difficile la production de preuves documentaires recevables devant les tribunaux modernes. Bien que certaines juridictions aient assoupli ces exigences probatoires, comme la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Communauté Mayagna (Sumo) Awas Tingni c. Nicaragua, cette approche flexible reste l’exception plutôt que la règle.

Vers une reconnaissance juridique adaptative des droits de passage maritimes traditionnels

Face aux défis identifiés, une évolution du cadre juridique s’avère nécessaire pour permettre une reconnaissance effective des droits de passage maritimes traditionnels. L’émergence d’un pluralisme juridique maritime apparaît comme une voie prometteuse. Ce concept reconnaît la coexistence légitime de différents systèmes normatifs régulant un même espace maritime, incluant tant le droit étatique moderne que les systèmes coutumiers locaux. Des expériences novatrices comme le système de TURF (Territorial Use Rights in Fisheries) au Chili ou les aires marines communautaires à Madagascar démontrent la viabilité d’approches juridiques hybrides, où l’État reconnaît formellement des droits d’usage et de passage définis selon des normes coutumières.

Le développement de protocoles bioculturels communautaires offre un outil juridique adapté aux spécificités des revendications maritimes locales. Ces documents, élaborés par les communautés elles-mêmes, codifient leurs pratiques, savoirs et règles traditionnelles concernant la navigation et l’usage des espaces maritimes. Reconnus par le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques, ces instruments juridiques endogènes permettent aux communautés de définir les conditions d’accès à leurs espaces maritimes traditionnels et de dialogue avec les autorités étatiques. Dans la région du Kimberley en Australie, de tels protocoles ont facilité la reconnaissance de droits de navigation aborigènes tout en établissant des mécanismes de cogestion avec les autorités nationales.

L’intégration de la notion de patrimoine culturel immatériel maritime dans les législations nationales constitue une autre piste d’évolution juridique significative. En reconnaissant que certaines pratiques de navigation font partie intégrante de l’identité culturelle de communautés, cette approche justifie leur protection au titre de la préservation du patrimoine. Le Japon a ainsi classé les techniques de navigation traditionnelles des pêcheurs d’Okinawa comme patrimoine culturel immatériel national, garantissant par là-même le maintien de leurs droits d’accès aux routes maritimes ancestrales.

La mise en place de mécanismes de règlement des différends culturellement adaptés représente un complément nécessaire à ces évolutions substantielles. Les procédures judiciaires conventionnelles, avec leur formalisme et leurs coûts, s’avèrent souvent inadaptées aux réalités des communautés maritimes traditionnelles. Des instances hybrides, intégrant des éléments de médiation coutumière et de droit étatique, comme les tribunaux de pêche traditionnels en Nouvelle-Zélande, offrent des modèles alternatifs prometteurs.

Innovations juridiques en matière de preuve et de cartographie

Sur le plan probatoire, l’acceptation de preuves non conventionnelles marque une avancée significative. Certaines juridictions reconnaissent désormais la validité de témoignages oraux d’anciens, de chants traditionnels décrivant des routes maritimes, ou de savoirs ethnobiologiques liés à la navigation. La Cour suprême du Canada, dans l’affaire Delgamuukw c. Colombie-Britannique, a établi un précédent en acceptant des récits oraux autochtones comme preuves recevables pour établir des droits territoriaux, principe qui s’est étendu aux revendications maritimes.

Les systèmes d’information géographique participatifs (SIG-P) offrent des outils techniques permettant de traduire les connaissances spatiales traditionnelles dans un format compatible avec les exigences juridiques modernes. Ces technologies permettent aux communautés de documenter leurs routes de navigation ancestrales, leurs sites maritimes culturels et leurs zones de pêche traditionnelles. Dans le détroit de Torres, l’utilisation de SIG-P a joué un rôle décisif dans la reconnaissance juridique des sea countries aborigènes, en permettant de matérialiser des connaissances spatiales auparavant transmises uniquement oralement.

L’évolution vers une reconnaissance juridique adaptative des droits de passage maritimes traditionnels nécessite un changement de paradigme dans la conception même de ces droits. Plutôt que de les considérer comme des exceptions ou des servitudes au sein d’un système dominé par la souveraineté étatique, il s’agit de les reconnaître comme des manifestations légitimes d’une relation distincte et préexistante aux espaces maritimes. Cette approche implique de dépasser la dichotomie classique entre droits publics et droits privés pour reconnaître l’existence de commons maritimes régis par des normes collectives spécifiques aux communautés concernées.

Harmonisation des intérêts : négociation et gouvernance partagée des espaces maritimes

La résolution durable des conflits relatifs aux droits de passage maritimes traditionnels passe nécessairement par des mécanismes d’harmonisation entre les différents intérêts en présence. Les expériences les plus réussies en la matière reposent sur des approches de cogestion adaptative des espaces maritimes. Ce modèle de gouvernance, expérimenté avec succès dans les îles Lau aux Fidji, implique un partage des responsabilités et des pouvoirs de décision entre autorités étatiques et communautés locales. La définition conjointe de règles d’accès et d’usage des zones maritimes permet d’intégrer tant les préoccupations de souveraineté nationale que les besoins de maintien des pratiques traditionnelles.

Les accords de gestion conjointe (co-management agreements) fournissent un cadre juridique formel à ces arrangements. Ces contrats, conclus entre autorités publiques et représentants communautaires, définissent précisément les modalités d’exercice des droits de passage, les responsabilités de chaque partie et les procédures de révision périodique. Dans la Grande Barrière de Corail australienne, de tels accords ont permis de concilier les impératifs de conservation environnementale avec le maintien des droits de navigation des communautés aborigènes et des insulaires du détroit de Torres.

L’établissement de zones maritimes à usage multiple représente une solution spatiale aux conflits d’usage. Ce zonage fonctionnel permet de délimiter des couloirs de navigation traditionnelle préservés au sein d’espaces par ailleurs soumis à diverses restrictions. Dans l’archipel des Moluques en Indonésie, ce système a permis de maintenir les routes de navigation ancestrales des Bajau (nomades de la mer) tout en développant des activités d’aquaculture et de tourisme dans les zones adjacentes.

Les mécanismes de compensation et de partage des bénéfices constituent une approche complémentaire dans les situations où certaines restrictions aux droits traditionnels s’avèrent inévitables. Lorsque des projets de développement économique affectent inévitablement des routes maritimes traditionnelles, des systèmes de compensation financière ou d’intéressement aux bénéfices peuvent être mis en place. Dans le golfe de Thaïlande, les communautés de pêcheurs dont les zones de navigation ont été affectées par le développement de plateformes pétrolières offshore ont négocié des accords incluant des fonds de développement communautaire et des programmes de formation professionnelle.

Dimension temporelle de l’harmonisation

La dimension temporelle constitue un aspect souvent négligé mais fondamental de l’harmonisation des intérêts. De nombreux conflits peuvent être résolus par des arrangements temporels plutôt que spatiaux. Les droits de passage saisonniers représentent une solution adaptée aux pratiques traditionnelles qui suivent souvent des cycles temporels liés aux migrations des espèces marines ou aux conditions climatiques. Dans le sud de l’Inde, des accords entre l’État et les pêcheurs traditionnels ont établi des périodes spécifiques pendant lesquelles ces derniers peuvent accéder à des zones normalement réservées à d’autres usages.

La planification spatiale maritime participative émerge comme l’un des outils de gouvernance les plus prometteurs. Cette approche intègre systématiquement les savoirs et besoins des communautés locales dans les processus de planification des espaces maritimes. En Colombie-Britannique, le processus de Marine Plan Partnership a permis d’intégrer les connaissances écologiques traditionnelles et les besoins de navigation des Premières Nations dans un plan de gestion maritime global, réduisant significativement les conflits d’usage.

L’intégration de mécanismes de résolution des conflits culturellement appropriés dans ces dispositifs de gouvernance partagée s’avère déterminante pour leur durabilité. Le recours à des formes traditionnelles de médiation et de négociation, adaptées aux spécificités culturelles des communautés concernées, favorise l’acceptabilité sociale des solutions proposées. Dans le Pacifique Sud, plusieurs initiatives de gouvernance maritime s’appuient sur des instances coutumières de résolution des conflits, comme le Conseil des Chefs au Vanuatu, réinterprétées dans un contexte contemporain.

La réussite de ces approches d’harmonisation repose fondamentalement sur la reconnaissance de la valeur épistémique des savoirs maritimes traditionnels. Au-delà de leur dimension culturelle ou identitaire, ces savoirs constituent des systèmes de connaissance sophistiqués, fruits d’observations et d’expérimentations menées sur de longues périodes. Leur intégration dans les processus de gouvernance maritime enrichit la compréhension des écosystèmes concernés et contribue à l’élaboration de solutions plus résilientes face aux défis contemporains, notamment le changement climatique et ses impacts sur les environnements marins.

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